Quelles protections s'appliquent à la résidence familiale lorsqu'un conjoint fait faillite ?
Écrit par Me Mohamed MEKOUAR
Sommaire:
1.La protection de la résidence familiale
1.1 Un bien pas comme les autres
1.2 Faillite et dessaisissement
1.3 Les options théoriques du syndic
a)Vendre la quote-part du débiteur
b)Vendre la maison entière et partager le produit
1.4 Une limite claire : pas de partage judiciaire
2. Le caractère raisonnable de l’offre d’achat
2.1 L’offre de l’épouse : 30 000 $ pour la demi-indivise
2.2 La critique de la Cour d’appel
2.3 Le rôle du syndic : rigueur et transparence
2.4 La conclusion de la Cour d’appel
3.Conséquences pratiques
Conclusion
Introduction
La résidence familiale occupe une place particulière en droit québécois. Elle n’est pas seulement un actif économique : elle représente aussi la stabilité du couple et de la famille. Mais que se passe-t-il lorsqu’un époux copropriétaire indivis fait faillite?
L’arrêt Syndic de Souaber (2023 QCCA 1066) apporte un éclairage précieux sur deux aspects essentiels :
La protection de la résidence familiale en cas de faillite;
Le caractère raisonnable de l’offre d’achat faite par le conjoint non failli.
La protection de la résidence familiale
1.1 Un bien pas comme les autres
Le Code civil du Québec prévoit qu’une résidence familiale ne peut pas être vendue ou hypothéquée sans le consentement des deux époux (art. 404 C.c.Q.). Cette règle vise à protéger le conjoint et les enfants contre les décisions unilatérales et à préserver le foyer familial.
1.2 Faillite et dessaisissement
Lorsqu’une personne fait faillite, l’article 71 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI) prévoit que tous ses biens passent entre les mains du syndic. Toutefois, le syndic n’a pas plus de droits que le failli.
- Si le débiteur ne peut pas vendre seul la résidence familiale, le syndic ne le peut pas non plus.
- En indivision, chaque copropriétaire détient seulement une quote-part abstraite du bien (art. 1015 C.c.Q.).
- Le syndic reçoit donc uniquement la part du débiteur, et rien de plus.
1.3 Les options théoriques du syndic
Face à une résidence familiale indivise, deux options sont envisageables :
A) Vendre la quote-part du débiteur
- Théoriquement possible, mais rarement attrayant pour un acheteur externe.
- Pourquoi? Parce que l’article 1022 C.c.Q. accorde au conjoint copropriétaire un droit de retrait : il peut racheter la part vendue dans les 60 jours en remboursant le prix payé et les frais.
- Résultat : peu d’acheteurs se risquent à investir, et la valeur marchande réelle chute.
B) Vendre la maison entière et partager le produit
- Le Code de procédure civile (art. 476 C.p.c.) permet au tribunal d’ordonner la vente d’un bien indivis et de partager le produit de la vente.
- Comme une maison ne peut pas être divisée en nature, cela signifierait une vente complète de la résidence suivie du partage du prix.
1.4 Une limite claire : pas de partage judiciaire
La Cour d’appel précise toutefois une règle importante : le syndic ne peut pas provoquer le partage de la résidence familiale.
- En vertu de l’art. 67(1)d) LFI, le syndic ne détient que les droits du débiteur.
- Or, l’art. 1030 C.c.Q. interdit le partage d’un bien affecté à un but durable, et la résidence familiale en est un exemple.
👉 Conséquence : le syndic est limité à vendre la quote-part du débiteur (souvent à l’autre conjoint), mais ne peut pas forcer la vente de la maison entière.
Le caractère raisonnable de l’offre d’achat
2.1 L’offre de l’épouse : 30 000 $ pour la demi-indivise
Dans l’affaire Souaber, l’épouse du failli a proposé d’acheter la part de son conjoint pour 30 000 $. La valeur nette de la résidence avait été estimée à 174 000 $, ce qui fixait la part du débiteur à environ 87 000 $.
La juge de première instance a accepté l’offre malgré l’écart important, considérant qu’il est presque impossible de vendre une part indivise à un tiers en raison du droit de retrait.
2.2 La critique de la Cour d’appel
La Cour d’appel a infirmé cette décision. Elle reconnaît que la valeur marchande d’une part indivise est inférieure à sa valeur théorique, mais elle souligne un problème majeur :
- Le solde hypothécaire retenu (environ 300 000 $) provenait uniquement des déclarations approximatives du débiteur et de son épouse.
- Aucune preuve documentaire n’avait été déposée.
- Le syndic n’avait pas vérifié le montant exact auprès de la Banque Équitable.
Or, si le solde hypothécaire réel était plus bas, la valeur nette de la résidence aurait été plus élevée, et donc celle de la part du débiteur également.
2.3 Le rôle du syndic : rigueur et transparence
La Cour d’appel rappelle que le syndic doit maximiser l’actif de la faillite dans l’intérêt de tous les créanciers. Cela implique :
- De vérifier rigoureusement les informations financières (comme le solde hypothécaire);
- De communiquer ces données aux créanciers afin qu’ils puissent se prononcer en connaissance de cause.
Faute de ces vérifications, la vente ne pouvait pas être considérée comme raisonnable.
2.4 La conclusion de la Cour d’appel
La Cour a donc refusé d’autoriser la vente à 30 000 $ et a ordonné au syndic :
- d’obtenir la confirmation officielle du solde hypothécaire auprès de la Banque Équitable;
- d’informer les créanciers et la mise en cause;
- de soumettre la vente au tribunal seulement après avoir fourni cette preuve.
👉 En clair : le caractère raisonnable d’une offre ne peut être évalué que sur la base d’une preuve complète et fiable.
Conséquences pratiques
L’arrêt Souaber rappelle plusieurs réalités :
- La résidence familiale est protégée en cas de faillite, ce qui limite les pouvoirs du syndic.
- Le prix offert par le conjoint peut être bien inférieur à la valeur théorique, mais il doit reposer sur une évaluation rigoureuse.
- Le syndic doit faire preuve de diligence et de transparence envers les créanciers.
Conclusion
La faillite ne permet pas de contourner la protection légale de la résidence familiale. Dans Syndic de Souaber, la Cour d’appel confirme que le syndic ne peut pas forcer le partage de l’immeuble et qu’il doit faire preuve de rigueur avant d’accepter une offre d’achat pour la part indivise du failli.
Pour les créanciers, cela signifie que la valeur récupérée sera souvent moindre, mais aussi que le syndic doit s’assurer que toute offre est réellement raisonnable et justifiée par une preuve solide.
Par Me Mohamed MEKOUAR
