Les bénéfices non répartis doivent-ils être inclus dans le calcul de la pension alimentaire ?
Écrit par Me Mohamed MEKOUAR
Sommaire
1. Les bénéfices non répartis et la pension alimentaire : enseignements récents de la Cour supérieure
1.1Qu’entend-on par bénéfices non répartis ?
a)La position des parties
b)L’analyse du tribunal
c)Appui jurisprudentiel
1.2Application concrète
1.3Enseignement pratique
1.Les bénéfices non répartis et la pension alimentaire : enseignements récents de la Cour supérieure
La détermination du revenu d’un parent entrepreneur est souvent au cœur des litiges familiaux. Le jugement Droit de la famille — 241702 (2024 QCCS 4235) illustre de manière éloquente la façon dont les tribunaux québécois traitent la question des bénéfices non répartis dans le calcul des pensions alimentaires.
1.1Qu’entend-on par bénéfices non répartis ?
Dans une société, les bénéfices réalisés peuvent être distribués à l’actionnaire sous forme de dividendes, ou conservés à l’interne : ce sont les bénéfices non répartis. Pour un professionnel incorporé, ces sommes représentent souvent une partie importante des revenus générés par son travail.
a)La position des parties
- Madame soutenait qu’il fallait ajouter 15 % des bénéfices non répartis aux revenus du père.
- Monsieur plaidait que ces bénéfices devaient être exclus, puisqu’il se versait déjà des dividendes substantiels, et qu’ils servaient de coussin financier et de fonds de retraite.
b)L’analyse du tribunal
Le juge Gaudet rejette l’argument du « coussin financier ». Il souligne que si le défendeur avait exercé ses activités directement (sans société), ses revenus bruts incluraient nécessairement l’ensemble de ces montants, sans possibilité de les soustraire pour prévoir l’avenir.
La Cour distingue :
- Bénéfices non répartis annuels : pertinents, car ils reflètent la richesse générée par l’année en cours et donc les revenus réellement disponibles.
- Bénéfices accumulés au fil des années : non pertinents, puisqu’ils ne représentent pas nécessairement un revenu disponible dans l’année du calcul.
c)Appui jurisprudentiel
La Cour se fonde sur un arrêt récent de la Cour d’appel (Droit de la famille — 24001244, 2024 QCCA 1054) qui précise que, pour un professionnel exerçant par l’entremise d’une corporation sans véritable fonds de roulement, la totalité des bénéfices non répartis annuels doit en principe être incluse dans le revenu de l’actionnaire.
1.2Application concrète
En appliquant ce principe, la Cour a ajouté chaque année aux dividendes déclarés du père une portion des bénéfices non répartis annuels de sa société :
- 2021 : dividendes de 126 500 $ + bénéfices non répartis de 128 318 $ = 254 818 $
- 2022 : dividendes de 128 850 $ + bénéfices non répartis de 93 088 $ = 221 938 $
- 2023 : dividendes de 112 700 $ + bénéfices non répartis de 79 509 $ = 192 209 $
Ces ajustements ont directement influencé le montant de la pension alimentaire pour l’enfant aux études.
1.3Enseignement pratique
Ce jugement confirme une tendance jurisprudentielle claire :
👉 Lorsqu’un professionnel exerce via une société de consultation sans besoins réels en capital, les bénéfices non répartis annuels doivent être considérés comme partie intégrante de ses revenus disponibles pour le calcul des pensions alimentaires.
Pour les parents entrepreneurs, cela signifie qu’il ne suffit pas de limiter les dividendes déclarés : les tribunaux examineront la réalité économique globale, afin de protéger l’intérêt de l’enfant et d’assurer un partage équitable des ressources.
